Dans l’univers de l’Education nationale, le mot « bienveillance » est pour ainsi dire omniprésent. Il s’immisce dans toutes les productions ministérielles, s’introduit régulièrement dans les conversations des salles de professeurs et s’insère immanquablement dans les rendez-vous de carrière et dans les nombreux stages de formation à la pédagogie.
En effet, qui n’a jamais assisté à un conseil de classe au cours duquel les professeurs sont sommés d’être bienveillants avec leurs élèves ? Qui n’a jamais vu en commission éducative les collègues rappelés à l’ordre sur la nécessité d’être bienveillant ? Qui n’a jamais entendu les inspecteurs et autres pédagogues ayant le vent en poupe répéter que la bienveillance est au cœur du métier d’enseignant ? Ainsi martelé, ce mot est présenté comme la baguette magique pour résoudre tous les maux de notre système scolaire.
Qu’est-ce donc que la « bienveillance » ? Il s’agit, selon le Larousse, d’une « disposition d’esprit inclinant à la compréhension et à l’indulgence envers autrui ». Mais, dans l’Education nationale, on nous la présente comme une attitude consistant à tout accepter des élèves, à ne plus rien oser exiger d’eux. En conséquence, cette injonction à la bienveillance pousse des collègues à adopter d’étranges habitudes : en cas de mauvaises moyennes, ils se sentent obligés de se justifier devant leurs chefs d’établissement ; d’autres s’imposent de refaire les mêmes devoirs à leur classe afin remonter la moyenne (se punissant finalement eux-mêmes car ils corrigeront deux fois le même travail) ; certains vont même jusqu’à donner le sujet de l’évaluation la veille afin d’éviter une catastrophe.
Tout cela démontre que les professeurs en viennent à se sentir responsables, peut-être même coupables, des difficultés scolaires de leurs élèves. Votre moyenne de classe est mauvaise ? Certains élèves n’arrivent pas à surmonter leurs difficultés ? Vos évaluations sont jugées trop difficiles par les élèves (voire par les parents d’élèves) ? C’est votre faute : vous n’êtes pas assez bienveillant ! Des professeurs ont même déjà vu leurs mauvaises moyennes pointées du doigt en conseil de classe ou en entretien privé avec la direction parce qu’elles ne cadraient pas avec des objectifs (dont on peut interroger le sens).
Jamais ne sont évoquées les diverses raisons (auxquelles de nombreux collègues pensent tout bas sans oser les exprimer tout haut) pouvant expliquer des résultats si médiocres : le manque de travail des élèves (alors que les copies blanches sont devenues monnaie courante, parfois dès la 6e) ; l’absence de rigueur dans la réalisation des exercices donnés comme en attestent les quantités de travaux rendus brouillons et bâclés, même chez des Troisièmes et des Terminales ; le peu d’intérêt de certains élèves pour les conseils prodigués par leurs professeurs. Et il y en a tant d’autres… Au lieu de prendre à bras le corps les vrais problèmes de notre système scolaire, l’intelligentsia préfère se tourner vers sa cible favorite : les professeurs. L’échec scolaire en France est forcément dû à leur manque de bienveillance.
Mais que devrait donc signifier la bienveillance dans un contexte scolaire ? La réponse devrait être sans ambiguïté possible : la bienveillance exprime avant tout une idée d’exigence. Le professeur exigeant poussera inlassablement ses élèves à donner le meilleur d’eux-mêmes. Il saura leur montrer que c’est par le travail rigoureux et par l’effort constant qu’ils progresseront. Surtout, il les aidera à se frotter aux difficultés et leur donnera les armes pour les surmonter. Bref, il les fera vraiment travailler et grandir, sans leur mentir. Rien à voir donc avec l’indulgence molle ou la bienveillance naïve auxquelles nous sommes subrepticement formatés par les grands théoriciens de l’Education nationale. A écouter ces derniers, un professeur exigeant serait nécessairement un tortionnaire… Ils n’ont donc rien compris !!
Il est urgent de redonner ses lettres de noblesse à la vraie bienveillance, qui est l’essence même de notre métier. Peut-être faudrait-il commencer par en rappeler le sens véritable aux personnes qui l’utilisent abusivement.
Eugénie de Zutter, Présidente académique
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