S’il est bien une émotion primaire problématique en situation d’enseignement, c’est le mépris, celui ressenti par les enfants, par les familles et aussi par les enseignants eux-mêmes. Pour pouvoir mieux faire face et disposer d’outils pour gérer cette émotion ô combien désagréable lorsqu’on en est la cible, je vous propose de vous interroger sur la signification et les déclencheurs de cette émotion.
De nombreux auteurs se sont penchés sur la signification du mépris. Si l’on retourne au XIXème siècle, Charles Darwin l’associait déjà au dédain, à un ricanement, à l’action de détourner les yeux, le corps tout entier. Au XXIème siècle, Paul Ekman le qualifiait d’émotion primaire avec notamment l’apparition d’une expression faciale asymétrique (un demi sourire). Si l’on se réfère à l’étymologie du mot, mépris viendrait de mes (mauvaise) et priser (estimer). Mépriser signifierait alors n’accorder qu’une valeur dérisoire à un être, une idée, une chose… Toutefois il convient ici de faire un distinguo important entre mépris et attitude méprisante.
Au risque de choquer nombre d’entre vous, le mépris qui est une émotion primaire et qui apparaît de manière inconsciente semble à ce titre aussi légitime que toutes les autres émotions primaires : joie, tristesse, peur, colère… Toute injonction à ne pas le ressentir serait alors une injonction paradoxale aussi vaine que de dire “Ne pensez pas à un éléphant rose”. Attention, si le mépris semble légitime il ne s’agit en aucun cas d’excuser les attitudes méprisantes qui elles-mêmes relèvent du comportement et sur lesquelles, à ce titre, l’être humain peut agir.
Les émotions engendrent des comportements intégrés protecteurs : la peur protège du danger (les hommes préhistoriques devaient courir et se cacher pour ne pas être victimes des prédateurs), la colère protège chacun des injustices, la joie nous enjoint à rechercher la satisfaction de nos besoins. Une question apparaît dès lors : quel serait donc le rôle du mépris ? Si l’on se réfère à certains chercheurs, le mépris servirait à détecter la violation de nos normes et de nos valeurs par autrui (Schribber, Chung, Sorensen et Robins, PubMed, 2016) ; il renvoie donc à ce titre à la sphère des valeurs, des identifications et des modèles. C’est aussi “un mécanisme utile et répandu nous permettant de supporter les déceptions sans nous mettre en colère” (Rivière, 1972). Voilà donc le mépris promu au rang de défenseur de nos valeurs, de ce qui fait notre être et lorsqu’on le ressent en groupe, de ce qui fait notre tribu.
Alors oui, mais en situation de classe me diriez-vous ? quel intérêt à tout cela ? Lorsque le mépris s’enclenche, difficile de lutter et de ne pas entrer en conflit pour éviter de perdre la face et le groupe. Face à un élève sujet au mépris, plusieurs cas se présentent alors. Une première possibilité, si celui-ci sent que le groupe ne le rejoint pas dans ses idées (et que l’idée de la perte de ce groupe est importante), serait de l’amener à faire évoluer sa position grâce à une argumentation. Une autre possibilité est malheureusement de se retrouver face un élève plein de certitudes et ayant le sentiment d’être rejoint par ses pairs, l’argumentation se révélerait alors vaine et l’acculerait au positionnisme tout comme ses camarades. Cette situation entraînerait l’apparition d’un cercle vicieux et d’une escalade dans le conflit. Il conviendrait alors de chercher à faire émerger les valeurs communes et à bien dissocier l’être et le comportement sans oublier de rappeler l’attitude attendue. Par exemple, « je comprends que tu ne partages pas les idées développées ici mais nous avons à travailler ensemble sur un programme fixé ».
Ainsi l’élève pourrait poursuivre son travail dans le cadre fixé sans pour autant avoir à remettre en cause ses valeurs, ce qui à coup sûr génèrerait l’apparition du mépris…
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