Voilà bien des mots qui se retrouvent un peu trop souvent accolés dans les médias. L’université de Dijon propose même un DU « Traiter la souffrance en milieu scolaire et péri-scolaire ».
L’institution, aux travers des paradoxes dans lesquels elle engage ses personnels, génèrerait-elle cette souffrance ? Ou bien serait-ce la mauvaise gestion émotionnelle des personnels qui serait au cœur du problème ? Les formations à la communication non-violente, à la cohérence cardiaque, … se déploient à grande vitesse mais rien ne semble pour l’heure être en mesure d’arrêter cette tempête. Serait-ce une des conséquences de l’avènement de « l’injonction paradoxale » de Grégory Bateson ou de la « novlangue managériale » décrite par Vincent de Gaulejac ?
Pour mieux comprendre, revenons sur la notion d’injonction paradoxale. Selon Grégory Bateson et Paul Watzlawick de l’école de Palo-Alto, une injonction paradoxale prend la forme d’un ordre qui contient une contradiction telle que l’on ne peut y répondre « il est interdit d’interdire » (disait Jean Yanne). Un bon moyen d’obtenir une injonction paradoxale est alors d’exiger un comportement qui ne peut être que spontané : « Sois spontané(e) ! » ou « Soyez innovants ! » (mais surtout ne bouleversez pas l’ordre établi).
On demande ici au cerveau de reprendre le contrôle sur une réaction spontanée comme l’apparition d’une émotion, d’une pensée, d’une manifestation physiologique…
Ne serait-ce pas contre-productif que d’essayer de se forcer à être heureux ? ou même de vouloir étouffer ses émotions (« vous ne devriez pas vous énerver pour si peu ! ») …
Ces injonctions, fréquentes dans notre communication moderne, ne conduisent pourtant pas toujours à la souffrance et cela d’autant plus lorsque nous restons capable de les dénoncer. Quelques pistes de réflexions supplémentaires proviennent des écrits de Vincent de Gaulejac (directeur du laboratoire du changement social) et de son travail autour de « l’organisation paradoxante » et de la novlangue managériale lors de l’analyse du management de la société IBM (qui semble avoir connu jusqu’à maintenant un nombre de suicides supérieur à celui de France Télécom). Le lien entre management des services et injonctions paradoxales (puisque c’est bien de cela qu’il s’agit), est aussi décrit dans l’article universitaire « Bureaucratie et émotions. Des injonctions paradoxales ? » cosigné par Ariel Eggrickx, Agnès Mazars-Chapelon.
Relier bureaucratie et néo-management semble difficile quand on ordonne entre autres d’innover et de se soumettre aux règles, mais aussi de mobiliser les émotions lors des apprentissages tout en restant le plus rationnel possible. N’y a-t-il pas là quelques contradictions ? Les enseignants ne seraient-ils pas eux aussi en proie à de telles injonctions ?
Les personnels de l’éducation nationale sont aujourd’hui encouragés de toutes parts à faire des choix et à obéir (bureaucratie quand tu nous tiens !!), à faire plus avec moins ou encore à se montrer plus autonome tout en respectant les décisions de la hiérarchie…
Là où les choses se corsent, c’est (selon Bateson) lorsque nous nous trouvons dans l’impossibilité de dénoncer le paradoxe. Cela peut se produire lorsque nous avons peur de perdre une relation vitale (avec un parent, avec un employeur…) ou bien par exemple lorsque que nous sommes soumis à la novlangue managériale (qui manie les oxymores tel une obscure clarté) et dont une des fonctions serait de faire coexister les contradictions.
Un bon exemple de novlangue réside dans l’affirmation « vous êtes libres de travailler 24h sur 24 » ; derrière cette illusion de choix, sommes-nous réellement libres ? Les personnels que nous sommes se retrouvent alors la plupart du temps, faute de formation en communication bien incapable de dénoncer ces subterfuges.
C’est bien ce type de situation qui serait à l’origine de ce que Bateson nomme alors « la double contrainte » (double-bind en anglais) dont une des caractéristiques serait de nous soumettre à une extrême souffrance psychologique.
professeur de physique-chimie